Les éléments

Centre Culturel Suisse

Paris. France

17 September – 18 December 2011

Brutalement.

Une forêt de masses noires, un espace compacté, un tour de force impressionnant : les frères Chapuisat envahissent le Centre culturel suisse.

Dans son essai Bunker Archéologie daté de 1975, le penseur Paul Virilio raconte comment il découvrit, pendant l’été 1945, sur les plages interdites ou minées du littoral océanique, les masses grises des blockhaus installés par les armées allemandes le long du mur de l’Atlantique. Etrangement, c’est un peu de cette expérience, brutale et fascinante, qui s’offre à l’étage du Centre culturel suisse, quand on découvre les masses compactes, géométriques, à l’allure cuirassée, qui encombrent l’espace. Car c’est un paysage dur, noir, négatif et envahissant qui s’impose à nos yeux.

Inspiré par la vue de brise-lames en béton installés dans le port de Nice, le duo d’artistes formé par les frères Chapuisat a installé sous la verrière une dizaine de sculptures en bois, toutes identiques, construites sur place pendant sept longues semaines de montage - un sacré tour de force. Depuis quelques années, ce duo s’est fait remarquer par la masse impressionnante de ce qu’on appellera des "autoconstructions", à mi-chemin entre l’architecture et la sculpture, entre la mégacabane en bois et la science-fiction.

Ici aussi, le jeu des références est ouvert : on pense aux formes anguleuses des architectures brutalistes des années 50 ou à la version "maxi" du minimalisme. Ou encore à une esthétique durement relationnelle : étroitement serrées les unes contre les autres, ces structures sont si sauvagement (ou si savamment?) imbriquées quelles laissent au visiteur une mince possibilité de s’immiscer dans ce puzzle géant, de ramper entre les blocs, d’épouser par ses contorsions leurs lignes brisées, leurs arêtes biseautées. "Nous voulons amener les visiteurs dans notre univers, commentent les frères Chapuisat dans le journal Le Phare, pour faire oublier l’espace d’art."

Et de fait, oubliant l’exposition, il y a quelque chose du film Le Voyage fantastique à s’aventurer entre ces énormes volumes comme dans les replis d’un corps monstrueux. Ou dans le terrier de l’ extraterrestre de l’excellent blockbuster Super 8. Les moins claustrophobes pourront explorer l’intérieur de ces volumes. Mais on ne découvrira sans doute rien de plus : car leur présence ici, comme autant d’épaves, cuirassés de guerre, étoiles noires ou vaisseaux galactiques, reste inexpliquée, aberrante.

Brutalement irréelle.

Jean-Max Colard

Les inRocKuptibles n°826

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